Nancy Baker, devenir Femme dans les 70’s

Quand la caissière me dit « Bonjour, madame » à 9h du matin, c’est ça ma réussite.

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À l’aube de ses 80 printemps, la célèbre meneuse de revue songe en n à raconter ses mémoires. Il faut dire que la vie de la Réunionnaise est riche. Des rencontres et des voyages ont rythmé la vie de celle qui fut précurseur en devenant femme en 1973 à l’âge de 36 ans.

Comment le jeune homme issu d’un mi- lieu modeste, que vous étiez, est-il de- venu danseur ?
J’ai commencé à travailler à l’âge de 12 ans. Et, dans les années 60, la France avait be- soin de Réunionnais ou d’Antillais pour des emplois non pourvus en métropole. J’ai séduit Madame Demange, la femme du préfet de la Réunion, par mon savoir-faire. Je suis alors parti avec eux à Versailles. Plus tard, Paul De- mange est devenu ministre d’État de la principauté de Monaco.

Je les ai également suivis. J’ai fait des rencontres incroyables, notamment Grace de Monaco, qui m’a complimenté pour mes arrangements oraux. Et puis, au fur et à mesure, quand on faisait des dîners, je faisais le service et je dansais après. Je me changeais dans l’of ce, je me maquillais, et après je dansais autour de la piscine devant les politiques, des personnalités importantes… J’avais un joli corps à l’époque. Et tout a commencé ensuite au Chat Noir à Nice où j’ai pu faire mes premiers numéros.

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Et, au bout d’un moment, vous décidez d’en faire votre métier…

Jusque-là, je dansais tout en travaillant le jour. C’était fatigant. À la mort de Monsieur Demange en 1970, je me suis dit qu’il était temps de me lancer. Je pouvais toujours retrouver autre chose si ça ne marchait pas. À l’époque, il n’y avait pas de problème de chômage.

 

Vous avez côtoyé les élites. Quelle est la rencontre la plus incroyable que vous avez faite ?
J’ai eu la chance de recevoir la bénédiction du cardinal Tisserant. Il est resté deux jours au ministère d’État de la principauté de Monaco quand j’y travaillais à l’époque. Ça m’a beau- coup aidé dans ma vie. Il y a eu aussi Thierry Le Luron, qui était magnifique. Nous étions al- lés ensemble voir Liza Minelli. Et Jean-Claude Brialy, un homme au grand cœur…

 

À quel moment Nancy Baker s’est-elle emparée de vous ?
Je ne voulais pas être un travesti. D’ailleurs, à l’époque, il était interdit de se travestir, sauf pour la Mi-Carême. Moi, je voulais être femme. J’avais enchaîné les voyages dans le monde entier, en Afrique notamment. J’avais plus de 30 ans et j’étais en contrat à Évian. Je plaisais beaucoup en tant que femme et je me suis dit que je devais assumer.

Capture d’écran 2016-07-27 à 11.49.44Être opérée pour devenir femme, c’était gagner ma liber- té. La Suisse était à côté, c’était plus simple pour les hormones et les piqûres. J’ai donc commencé. Et puis, je suis partie à Abidjan. Quand je suis revenue, j’ai mis un an pour sa- voir si je devais me faire opérer. J’ai mis un an à réfléchir et à mettre de l’argent de côté. Ça coûtait une fortune. À cette époque, tout le monde allait à Casablanca pour se faire opérer.

J’ai arrêté de travailler pendant deux mois pour l’opération. Le 2 mai 1973, c’est une nouvelle naissance pour moi. J’ai recommencé à travailler quelques temps après, je me sentais beaucoup plus libre.

Il y a une autre rencontre qui a bouleversé votre vie aussi…
Oui, celle avec Joséphine Baker. Je l’avais vue la première fois en spectacle à l’Olympia en 1968. Je l’admirais. Quand j’étais meneuse de revue au New Moon près de Pigalle, je finissais avec un numéro de Joséphine. Et puis, un jour, je l’ai rencontrée. Brialy avait acheté un lieu qui s’appelait La Goulue. J’allais la voir travailler et nous sommes devenues amies. Parfois, je la remplaçais quand elle était sur d’autres spectacles.

Il n’y avait aucune compétition entre nous. Elle disait que je faisais son numéro « avec prestige ». Le jour où j’ai appris sa mort, j’étais dévastée. Si je suis devenue ce que je suis, c’est parce que j’ai commencé avec Joséphine Baker.

Quel était le regard des hommes sur vous ?
J’ai eu énormément d’amants hétérosexuels. Je n’ai jamais eu de réactions désagréables. J’ai eu la chance de rencontrer des hommes élégants. Les hétéros, c’étaient mes amants. Les homos, c’est mes amis.

Quelle évolution vous constatez sur le regard que l’on porte sur les transgenres ?
Avant, quand on disait « trans », on pensait à la prostitution au Bois de Boulogne ou à Pigalle. La mentalité a évolué. Pour ma part, je n’ai jamais eu de soucis. Aujourd’hui, heureusement, on s’intéresse beaucoup plus aux transgenres. Les démarches restent malheureusement trop compliquées pour les papiers.

Quel conseil vous donneriez à un homme ou une femme, mal dans son corps, qui souhaite se faire opérer ?
Il faut bien réfléchir. L’opération, c’est la dernière étape : il y a tout un cheminement avant. Mais il ne faut pas surtout pas se faire opérer pour quelqu’un. C’est une démarche personnelle et intime.

Quand vous regardez votre parcours de femme trans, quel est votre sentiment ?

Quand la caissière me dit « Bonjour, madame » à 9h du matin, c’est ça ma réussite.

Par Grégory Ardois-Remaud

CultureInterview
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